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Être collégien à Saumur au 17ème siècle

PASSEPORT RECHERCHE 2018-2019

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5.Les relations des imprimeurs et
les libraires saumurois avec le Collège
Les imprimeurs - Version audio - L. DAVEAU / P. EFFRAY / L.-A. GASCHET
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Bien qu’il n’en subsiste aucune trace, le carrefour de la rue Saint Jean, de la rue du marché et de la rue du Puits neuf correspondait à l’un des hauts lieux du livre au temps du collège et de l’Académie puisque vers 1650 l’officine de l’imprimeur Isaac Desbordes était située « près de la Maison de Ville » et que l’enseigne « Au livre d’or » de son associé Jean Lesnier se trouvait « près le Puits Neuf »[1].

 

C’est surtout aux marchands libraires que les collégiens avaient à faire puisqu’il leur fallait acquérir des manuels d’apprentissage ou les œuvres au programme quand ils ne pouvaient pas se les faire prêter. Ainsi le cours de logique de Marc Duncan, utilisé au collège depuis la fin des années 1620, est l’ouvrage dont le libraire Delerpinière proposait le plus grand nombre d’exemplaires à la vente en 1661 selon l’inventaire de sa boutique qui était alors une des plus fréquentée de Saumur[2].

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En raison de l’émulation intellectuelle suscitée par l’installation des Oratoriens et des nombreuses controverses théologiques auxquelles prennent part les enseignants protestants  cette période peut-être considéré comme l’âge d’or de l’imprimerie à Saumur[3].

 

Plus encore que les autres professions liées à la présence d’une population étudiante importante, le monde du livre saumurois est profondément marqué par l’identité confessionnelle. Ce particularisme explique pourquoi il ne s’était pas constitué en corporation et pourquoi les imprimeurs protestants préférèrent s’implanter à l’abri des remparts laissant les faubourgs  à leurs homologues catholiques. Leur participation active à la propagande religieuse exposait en effet les imprimeurs à d'éventuelles représailles comme ce fut le cas pour Thomas Portau dont l’atelier fut saccagé lors des violences qui accompagnèrent la disgrâce de Duplessis-Mornay en 1621[4].

 

L’installation de Portau à Saumur vers 1600 coïncide avec les débuts de l’Académie dont il devint l’imprimeur attitré du fait de sa relation privilégiée avec Mornay mais aussi en raison de l’importance de son atelier où il était secondé par au moins un apprenti et un maître relieur. Portau disposait de plusieurs jeux typographiques avec des caractères grecs ou hébreux lui permettant des éditions prestigieuses telles Le Mystère d’iniquité de Duplessis Mornay ou la Bible, agrémentées de gravures et de belles lettrines, mais aussi une édition des Psaumes de David mis en musique par Clément Marot avec partitions [5].

 

La réussite de Portau attira d’autres imprimeurs et après lui Louis Guyon, Isaac Desbordes, Jean Lesnier et Jean Ribotteau eurent à leur tour le privilège de porter « le nom d’imprimeur de l’Académie »  ce qui impliquait alors d’assumer en plus la charge de bedeau de l’institution scolaire[6].

 

Dans la vie d’un collégien le bedeau était surtout la personne qui annonçait les noms des étudiants promus et de ceux récompensés par un prix mais aussi pour les philosophes celui qui apposait le sceau de l’Académie au bas des lettres attestant leur qualité de maîtres es arts à la fin de leurs études[7].

 

Enfin, le bedeau était la personne qui ouvrait la marche du cortège de l’Académie constitué par le recteur et les professeurs suivis de leurs élèves lorsqu’ils se rendaient au Temple pour une dispute publique ou la soutenance des étudiants en maîtrise suivant un itinéraire similaire à celui que vous empruntez aujourd’hui.

 

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[1] Dans son Histoire de l’Académie, J.-P. Pittion précise que Desbordes vendait des livres dans son atelier d’imprimerie et que la boutique de Lesnier est postérieure à 1633, ( http://archives.ville-saumur.fr/_depot_amsaumur/_depot_arko/articles/889/imprimerie-protestante-a-saumur_doc.pdf ). Notre hypothèse selon laquelle la localisation de cette dernière se trouve à proximité du Puits-Neuf est fondée sur le fait que l’imprimeur-libraire catholique De Gouy, qui s’implanta dans le quartier pour pouvoir mener la vente de la bibliothèque de l’Académie après 1685, a récupéré à son compte l’enseigne « Aux livres d’or » et que son fils qui lui succède est en 1735 « imprimeur et marchand-libraire près le Puits-Neuf ». Cf. Jean-Yves Le Clerc, « Impressions d’ici, histoire de l’imprimerie à Saumur », Exposition du château de Saumur, 1996.

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[2] L’inventaire réalisé à l’occasion du second mariage de Delerpinière recense 37 exemplaires exposés du livre de Duncan auxquels s’ajoutent 300 autres exemplaires « en blanc » en réserve dans l’arrière-boutique (  J.-P. Pittion,  http://archives.ville-saumur.fr/_depot_amsaumur/_depot_arko/articles/810/chez-le-libraire-la-librairie-delerpiniere-en-1661_doc.pdf ). Le même inventaire dresse une liste des clients du libraire dont Elie Bouhéreau père qui avait achevé sa maîtrise en 1660 et qui avait alors commencé à constituer sa bibliothèque de quelques 1700 volumes (2022 titres) qu’il réussit à faire passer en Angleterre puis en Irlande après la révocation de l’Edit de Nantes. cF. J.-P. Pittion, « Un médecin protestant du XVIIème siècle et ses livres : anatomie de la collection Elie Bouhéreau à la Bibliothèque March de Dublin », dans Irish Journal of French Studies, 16, 2016, p.38 et 40.

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[3] Si l’installation des Oratoriens à Saumur est décidée en 1614, ce n’est réellement qu’après 1619 que la congrégation s’installe aux Ardilliers prenant ainsi la tête de la Contre-Réforme. La réaction catholique à la présence protestante était déjà à l’œuvre Saumur ainsi l’imprimeur René Hernault installé à proximité des Ardilliers est actif en 1610 (cf. J.-H. Denécheau, http://saumur-jadis.pagesperso-orange.fr/recit/ch12/r12d5imp.htm). Selon J.-P. Pittion les presses saumuroises dominent très largement l’édition protestante dans le royaume de France de 1601 à 1685.

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[4] En mai 1621, Jean Louvet, (« Récit véritable de tous ce qui est advenu digne de mémoire tant en la ville d’Angers, pays d’Anjou et autres lieux (depuis l’an 1560 jusqu’à l’an 1634) », publié dans la Revue de l’Anjou [1854-1856]) rapporte que «les pages et laquais avaient profané et dissipé la science de Duplessis-Mornay et même de son imprimeur où ils furent aussi faire le remuement de ses livres et imprimerie sans aucun inventaire » et que des angevins ont pu se saisir de « papiers (...) en blanc prêts à relier ». Comme il précise par ailleurs que les « livres, tous pleins d’hérésies et blasphèmes, ont été, partie jetés dans la rivière de Loire, autre partie brûlés, jetés épars, tant dans ledit château que par les rues de la ville » et la géographie des lieux ne permet pas d’imaginer que les livres de la bibliothèque du château aient pu constituer l’essentiel de ceux ayant fini dans les rues ou dans la Loire nous pouvons en conclure que l’atelier de Portau se situait bien non loin des quais. Quant aux ateliers catholiques nous avons vu que René Hernault puis ses successeurs (d’abord ses fils puis à partir de 1657 François Ernou marié à la petite fille de René)  sont installés dans le faubourg du Fenet, et De Gouy avant son installation rue Saint Jean dépend de la paroisse de Nantilly.

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[5]  En 1626 les professeurs de l’Académie déplorent que « les gages versés aux imprimeurs par les académies ont été supprimés lors des derniers synodes » (AMS, IA1 f° 76v [accessible en ligne p. 135]). Portau était donc rétribué  60 livres par an en tant qu’imprimeur officiel de l’Académie et à ce titre il devait imprimer à partir de 1617 jusqu’à 12 thèses d’étudiants en théologie par an à un tarif prédéfini ce qui lui donnait une quasi exclusivité sur ce marché (AMS, IA1 f° 22 [accessible en ligne p. 36]). La fonction d’imprimeur de l’Académie impliquait également l’impression des programmes et de placards (AMS, IA1 f° 123v [accessible en ligne p. 234]). Dans un atelier deux hommes étaient en général nécessaires pour faire fonctionner la presse sans perdre de temps : l’un actionnait la machine pendant que l’autre s’occupait de l’encrage. En 1619, l’apprenti imprimeur de Portau était le saumurois Jean Bureau, qui après la mort de son maître continua à faire fonctionner l’atelier jusqu’en 1624, et le maître relieur est un hollandais François van Lieshoult (AMS, IA1 f°37 [accessible en ligne p. 56] ; pour W. Frijhoff, « L’Académie protestante de Saumur et les Néerlandais », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 123-124, 2016, p. 64, Van Lieshout aurait alors été licencié par rapport à la publication d’un pamphlet diffamatoire puis a ensuite ouvert son propre atelier d’imprimerie à Amsterdam en 1625, mais il est aussi possible que le relieur soit resté chez Portau et ait bénéficié de la même clémence que Bureau qui ne quitte précisément Saumur qu’en 1624-1625). J.-P. Pittion, op. cit., signale que Louis Guyon était également un apprenti de Portau à cette date.

Les trois ouvrages imprimés par Portau que nous citons ici correspondent à des titres qui apparaissent dans l’inventaire de la bibliothèque de l’Académie en 1685 et aujourd’hui présents dans le fonds de la médiathèque de Saumur Agglomération [Le Mystère d’iniquité, 1611 (S XVII-4 2) La Bible de 1614 (S XVII-4 3), Les Pseaumes de David mis en rime françoise par Clément Marot et Théodore de Bèze, 1615 (S XVII-8 8/2)] et que pour le premier il nous apparaît fort probable qu’il s’agit de l’exemplaire recensé en 1685  (cf. infra : La bibliothèque du collège et de l’Académie) . Louis Desgraves, « Thomas Portau, imprimeur à Saumur (1601-1623) », dans Bibliothèque de l’Ecole des Chartres, 1968, tome 126-1, p. 63-133, lui attribue 106 éditions entre 1601 et 1623, Portau est donc un imprimeur prolixe au regard de ses concurrents.

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[6] Les synodes nationaux ayant supprimé le financement des gages permettant à l’Académie d’avoir un imprimeur, il fut décidé en 1626 de confier la charge de bedeau jusque là exercée par le libraire Benoît Mignon à l’imprimeur Louis Guyon. A la mort de ce dernier en 1628 la charge est confiée à son ancien apprenti Desbordes qui, au moins à partir de 1638, la partage avec Lesnier (leur association commerciale date de 1628 ou 1629). En 1653 à l’occasion d’une tension entre le conseil de l’Académie et des écoliers Jean Lesnier refuse d’avoir à sanctionner les étudiants et abandonne sa charge qui est alors confiée à Jean Riboteau imprimeur et libraire. Mais ce dernier n’est visiblement pas chargé des impressions puisqu’en 1665 un contrat lie encore l’institution à Desbordes et Lesnier fils qui a succédé à son père. Lesnier fils (en 1675) et Desbordes (en 1682) étant décédés il est alors probable que Riboteau ait imprimé pour le compte de l’Académie sur les dernières années même s’il n’est mentionné que comme libraire sur l’état des sommes dues en janvier 1685 et que les sommes alors évoquées pour René Péan également libraire-imprimeur sont supérieures. (AMS, IA1 f° 76v, 83v, 123v, 155, 203v, et f° 112 du livre de comptes [accessibles en ligne p. 135, 149, 234, 297, 396 et 575]).

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[7] Les charges et fonctions du bedeau sont définies par le registre de l’Académie : AMS, IA1 f° 128v et 143v  [accessibles en ligne p. 244 et 274]). Le sceau de l’Académie ne nous est pas connu mais il devait porter la mention « Academia Salmuriensis » ou « senatus Academiae Salmuriensis » si l’on s’appuie sur un litige concernant un programme imprimé (ANTT 266 f°558-559).

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