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Être collégien à Saumur au 17ème siècle

PASSEPORT RECHERCHE 2018-2019

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6- Les conditions de vie matérielles des enseignants
à travers les exemples de Marc Duncan et William Doull

Les gages du personnel de l'Académie

06 - Les conditions de vie - Version audio - L. DAVEAU / P. EFFRAY / L.-A. GASCHET
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Au 6 de la rue du Puits Tribouillet, l’hôtel particulier datant de la fin du XVème ou du début du XVIème siècle est traditionnellement considéré comme étant le logis de Marc Duncan[1].

 

Gentilhomme et médecin écossais installé à Saumur, Duncan enseigna dès 1606 à l’Académie et au collège dont il devint principal[2].

 

D’abord chargé du cours de logique et d’éthique en première année de maîtrise puis du cours de physique en seconde année, Duncan donna également des cours de mathématiques, de Grec et d’éloquence. Médecin réputé, il refusa de retourner en Angleterre pour devenir le médecin du roi Jacques 1er ne souhaitant pas imposer à sa femme de quitter Saumur.

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A l’époque de Duncan ce logis avait un aspect légèrement différent de celui que vous pouvez observer. L’hôtel était en effet adossé à l’enceinte fortifiée de la ville et sa façade principale en face de l’actuelle rue Lecoy était ornée non pas d’une mais de deux échauguettes en brique. La façade était alors coiffée d’une lucarne à pignon aigu similaire à celle de l’hôtel particulier du 13 rue du Temple dont la construction date de la même époque. Il est probable que l’hôtel possédait en outre une galerie d’encorbellement entre l’actuel porche et la tour escalier située sur la façade postérieure du bâtiment côté cour. Jusqu’ au début du XXème siècle, cette tour escalier était visible depuis la rue en raison de la présence d’une chambre haute dépassant de la toiture. Il ne semble pas que l’on puisse attribuer la moindre transformation architecturale à Duncan et s’il est possible que le professeur ait occupé les lieux ce fut avant 1616. En effet, en 1616 Duncan accepte la charge de principal du collège et la mise par écrit des conditions auxquelles il entend remplir sa charge montre qu’il occupa le logement de fonction au sein du collège jusqu’à sa mort en 1640, occupation d’ailleurs avérée à trois reprises par des allusions dans le registre de l’Académie[3].

 

Cette résidence au sein du collège explique sans doute le charivari dont Duncan fut l’objet de la part des élèves lors de son second mariage en 1630 alors qu’il devait approcher des 60 ans et plus encore la sévérité de sa réaction qui conduisit deux élèves du collège à être fouettés en classe pour cette insolence[4].

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Logé par le collège, et disposant possiblement de l’hôtel particulier portant son nom, Duncan était également propriétaire d’une maison proche de l’Académie[5].

 

Cette aisance financière, provenant à la fois de ses revenus en tant que médecin renommé mais aussi probablement d’une fortune personnelle et de terres en lien avec sa qualité de gentilhomme, explique sans doute que Duncan ne semble pas avoir été mis en difficulté par le fait qu’entre septembre 1624 et février 1626 au moins les enseignants du collège n’aient pas été payés faute de moyens, et, qu’après la peste de 1637 il put avancer les sommes nécessaires pour désinfecter et réparer les locaux du collège[6].

 

Il est même assez probable que, de part son statut et sa longévité, Duncan ait été au centre du réseau de solidarité qui existait à Saumur au sein de la communauté écossaise protestante gravitant autour de l’Académie, ce que tendrait à confirmer le fait qu’en 1645 ses héritiers louaient la maison proche du collège à Jeanne Amyrault alors veuve de Patrice Pibles qui se remaria l’année suivante avec William Doull, les deux hommes étant des Ecossais enseignant au collège[7].

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Avec Doull nous pouvons appréhender ce qu’étaient les conditions de vie matérielles d’un enseignant du collège n’appartenant pas à la noblesse. A partir de 1645, Doull enseigna comme régent de première, avec le titre de professeur d’éloquence à partir de 1655, ce qui lui assurait un revenu fixe d’au moins 400 livres par an. Ce salaire était plutôt enviable, tant pour l’époque qu’au sein du personnel de l’Académie, puisque les gages d’un professeur étaient fonction du niveau dans lequel il enseignait ce qui explique que lorsqu’une place était vacante le régent de la classe inférieure faisait valoir son droit à y postuler[8].

 

Aux gages de Doull venaient s’ajouter une somme perçue au titre du minerval acquitté par les collégiens[9].

 

Enfin, comme ses collègues, le professeur arrondissait certainement son revenu en dispensant des leçons particulières aux élèves qui en avaient les moyens et en hébergeant au moins deux élèves. Nous pouvons donc estimer qu’en 1655 la famille Doull disposait d’un revenu supérieur à 560 livres et d’une exemption d’impôt sur la taille, comme tous les foyers d’enseignant de ce collège, pour des charges correspondant à 200 livres de loyer annuel ainsi qu’aux dépenses alimentaires d’une famille de 6 enfants et un nourrisson soit un niveau de vie très supérieur à celui du concierge du collège[10].

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[1] J.-F. Bodin, Recherches historiques sur la ville de Saumur, 1845, p.387-388 et note 77 p. 609, qui y fait naître Cérisantes, l’aîné de Duncan, et ses deux frères ce qui, pour ces-derniers, est certainement faux puisque respectivement nés en 1619 et 1624. Le fait que Duncan ait résidé dans cet hôtel est systématiquement repris depuis le XIXème siècle et s’appuie sur un document non référencé (A. Girouard, Saumur, vieux logis, vieux souvenirs, Angers, 1946, p. 11)  que seule une étude des actes notariés permettrait de confirmer ou d’infirmer. Notons enfin que le seul nom de Duncan comme occupant des lieux ne serait pas suffisant pour confirmer qu’il s’agissait du médecin philosophe, son second fils François, sieur de Sainte-Hélène, résidait à Saumur au moins jusqu’au décès de sa femme en 1686. François Duncan était capitaine des Gardes du gouverneur M. de Comminges, lequel  emménagea justement dans le quartier fin 1690 au 11 rue du Temple (AMS, BB1, f° 228). Cette proximité géographique serait logique au regard de sa fonction mais il faut là encore être prudent puisqu’in fine François Duncan se réfugia à Londres où il mourut en 1697 (J.-L. Tulot, Les Réformés de Saumur au temps de l’Edit de Nantes, 1999, p.179-181).

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[2]AMS, IA1 f° 9, p.10 avec une description assez précise du rôle pédagogique du principal  AMS, IA1 f° 19, p.30. Si Duncan fut chargé de la philosophie à partir de 1610, il était professeur au collège dès 1606 (AMS, IA1 f° 67v, p.115). Son cours de logique, publié avec une dédicace à Duplessis-Mornay, fut comme nous l’avons vu une référence pendant de nombreuses années au point d’être encore le livre le plus courant dans la librairie de Delerpinière en 1661, cependant nous ne trouvons pas d’ouvrages de Duncan dans l’inventaire de la bibliothèque de l’Académie dressé en 1685 contrairement aux publications des autres enseignants de l’Académie notamment les œuvres de Pindare éditées en grec et traduites en latin par son rival Jean Benoit.

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[3] Après une épidémie ayant sévi au moins en octobre-novembre, le 16 décembre 1637, il est précisé que Duncan et sa famille sont rentrés depuis une quinzaine de jours dans les locaux du collège, alors bien nettoyés, et donc que les cours peuvent reprendre normalement (AMS, IA1 f° 121v,  p. 230). En février 1638, Duncan précise qu’il demeure dans la maison du collège (AMS, IA1 f° 122,  p. 231). Enfin, bien que nommé principal dès mars 1640 après le décès de Duncan, l’état des lieux du logement du principal réalisé à l’occasion de l’entrée de Moïse Amyrault ne se fait qu’en septembre 1640 soit après que la succession de Duncan et de sa veuve décédée à son tour en mai ait été réglée (AMS, IA1 f° 128v,  p. 244).

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[4]  AMS, IA1 f° 87v, p. 157.

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[5] La valeur de cette maison était de 1500 livres lors de son rachat par le collège en 1647 (AMS, IA1 f° 150v et 151 p.288-289).

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[6] Il est probable que Duncan ait bénéficié d’une aisance financière attachée à son titre de gentilhomme et peut-être d’une ou plusieurs seigneuries. Ainsi le nom de Cérisantes, traditionnellement attribué à son fils aîné, pourrait être lié à une terre déjà possédée par Marc Duncan en 1610 puisque le professeur porte déjà ce titre comme auteur d’un in quarto imprimé en 1610 par Thomas Portau et conservé à la Bibliothèque Nationale (Henrici IV, Galliae et Navarrae regis christianissimi, foedissimo... parricidio patriae erepti, justa qualia ei in acerbissimo luctu reddere potuit Marcus Duneanus [de Cerisantes]). Sur les revenus en tant que médecin les registres académiques nous apprennent qu’en 1631 Duncan consacre la quasi-totalité de son temps à ses patients (AMS, IA1 f°92, p. 166), parmi lesquels l’abbesse de Fontevraud, et sa renommée fit qu’il fut consulté dans l’affaire des possédées de Loudun en 1634. Pour les gages et indemnités de Duncan comme enseignant et principal se reporter au tableau en annexe. A ces revenus s’ajoutaient également les sommes versées au titre de l’hébergement de collégiens comme Le Noir qui y resta deux ans et demi à partir du second semestre de 1638 : « Je demeurais en pension chez Mr. Duncan, principal du Collège un des grands hommes de ce siècle mais il n'avait aucun soin de moi quoi que mes parents eussent une toute autre espérance. » (Philippe Le Noir de Crevain, "Histoire généalogique…", Ed. François de Beaulieu, Cahiers du Centre de Généalogie Protestante N°27, troisième trimestre 1989, p. 1377. Cité par J.-L. Tulot).  En octobre 1625, il est précisé que les gages de toutes les personnes servant dans l’Académie n’ont pas été versés depuis plus d’un an et la situation n’a pas évoluée en février 1626 (AMS, IA1 f° 71, 71v, p.122 et 123). Notons que déjà en 1620 régents et professeurs ne touchaient pas leurs gages en temps voulu (AMS, IA1 f° 49,  p. 80). Pour les travaux réalisés au collège en 1637-1638 (AMS, IA1 f° 122,  p. 231). Sur Duncan se reporter notamment  à J. Prost, La philosophie à l’Académie protestante de Saumur (1606-1685), 1907, p.11-45 et à J.-P. Pittion, http://archives.ville-saumur.fr/_depot_amsaumur/_depot_arko/articles/806/marc-duncan-vie-et-carriere-1570-1640-_doc.pdf.

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[7] Sur la maison louée à Jeanne Amyrault : AMS, IA1 f° 145, 150v et 151, p.277 et 288-289. Patrice Pibles est recruté en 1632, régent de première à partir de 1634, est inhumé le 31 octobre 1642 (AMS, IA1 f°113v et 132, p. 210 et 251 ; et J.-L. Tulot, op. cit., p. 210). De façon assez singulière William Doull succède à Pibles comme régent de première, épouse sa veuve et finit par occuper le même logement. Les professeurs et étudiants écossais furent sans doute victimes à plusieurs reprises de discriminations ou de moqueries, comme le prouve le pamphlet imprimé en 1619 par les ouvriers de Thomas Portau, aussi il est possible que les fréquentes altercations de Duncan avec certains de ses collègues puissent trouver leur origine dans « des rivalités de nations ».

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[8] Sur les régents postulant à la classe supérieure : AMS, IA1 f°63v, 80-80v, p. 107, 142-143. Notons que les enseignants exerçaient leur métier sans limite d’âge M. Parisod régent de 3° a 70 ans en 1651 (AMS, IA1 f°147v, p. 282) demande à être remplacé mais la charge n’est reprise qu’à sa mort en 1657 (AMS, IA1 f°168, p. 323), de même pour Cappel qui arrête d’enseigner en juin 1658 car malade (AMS, IA1 f°169, p. 325) et meurt en juillet. Les enseignants restaient titulaires de leur poste même lorsque remplacé pour maladie : ainsi Merle/Merula régent de 2° reste en arrêt maladie pendant au moins 2 ans, entre 1637 et 1639 (AMS, IA1 f°125, p. 237), puis meurt en fonction le 16 avril 1640 (AMS, IA1 f°127v, p. 242).  Pour les gages des enseignants se reporter  à  la grille des gages annuels du personnel de l’Académie en livres (infra). Bien que critiquables, des comparaisons de salaires peuvent être faites avec d’autres époques et d’autres lieux : en 1599 à Paris les gages annuels d’un chirurgien de l’Hôtel-Dieu s’élevaient à 206 livres tournois (M. Baulant, « Prix et salaires à Paris au XVIe siècle. Sources et résultats », dans Annales. Economies, sociétés, civilisations, n°5, 1976, p. 984),  et, en 1693 à Beauvais une famille de cinq personnes travaillant dans le textile (le père serger, la mère et leurs trois filles fileuses) gagne 108 sols par semaine (selon les travaux de P. Goubert repris par D. Morsa, « Salaire et salariat dans les économies préindustrielles (XVIe-XVIIIe siècle) », dans Revue belge de philologie et d’histoire, t. 65, fasc.4, 1987, p. 772-773, qui cite aussi les salaires journaliers des ouvriers, maçons et charpentiers à la fin du XVIIIème siècle, p. 754 notamment à Bordeaux p. 757-758). Le seul comparatif du niveau de vie de Doull avec une autre profession sur Saumur est que son revenu moyen est 3,5 fois supérieur à celui du concierge/portier du collège (aux 64 livres annuelles envisagées en 1640 pour le portier s’ajoutent les étrennes de 5 sols par élèves, donc 50 livres pour une moyenne de 200 élèves, et le fait qu’il dispose d’un logement de fonction).

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[9] Un minerval de 3 livres par collégien abondait une caisse commune ensuite reversée à parts égales entre les différents professeurs (probablement >200 élèves en 1655 selon estimations évoquées supra : Les élèves du collège, note 3). Nous savons par les mémoires de Jean Rou [Mémoires inédits et opuscules de Jean Rou... (1638-1711), publiés par F. Waddington, Paris, 1857, vol. 1 p. 16-19] qu’en 1653-1654 Doull avait trente élèves en Première et que le professeur – pourtant qualifié de « mauvais régent » par François de Jaucourt [Journal manuscrit du marquis d’Ausson, extrait publié par F. Waddington, op. cit, note 4 p. 22-23] - était apprécié de l’auteur qui, pendant deux années, suivit son enseignement dans l’art oratoire et la rhétorique. Il est donc probable que la qualité de professeur d’éloquence reconnue en 1655 (AMS, IA1 f°160, p. 307) ne soit finalement qu’honorifique au regard des cours dispensés par Doull avant cette date ce qui expliquerait que les gages alloués au régent de première à partir de 1626 comprennent les 40 livres supplémentaires obtenues par Geddé lors de sa promotion en 1620 (AMS, IA1 f°51, p. 84). Outre le titre de professeur, la chaire d’éloquence permettait à son détenteur d’avoir la préséance sur les professeurs de philosophie dans les manifestations publiques de l’Académie (AMS, IA1 f° 128v-129 [= p. 244-245]).

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[10] L’exemption de taille est évoquée par les registres académiques lorsqu’elle fur parfois remise en question, AMS, IA1 f°112, p. 207. Le revenu et les dépenses de la famille Doull sont ici calculés sur une estimation minimale (la composition de la famille en 1655 est connue par le travail de J.-L. Tulot  à partir des registres du temple). Il ne faut cependant pas surestimer le revenu des leçons ou répétitions particulières chez les enseignants car elles sont dites « fort mal » payées en 1660 (AMS, IA1 f° 173v, p. 334). Le couple Doull disposait tout de même probablement d’une relative aisance financière puisqu’ils proposent en vain de racheter leur domicile en 1652 (AMS, IA1 f°151v, p.290) à l’Académie qui en est propriétaire depuis 1647 (cf. supra note 7) et qu’après avoir été certainement scolarisé au collège de Saumur, leur fils aîné Guillaume est envoyé à Oxford en 1665 puis devient médecin (J. Plattard, Un étudiant écossais en France en 1665-1666. Journal de voyage de Sir John Lauder, 1935, p. 27-28).  La situation financière du couple se dégrade à partir de juillet 1671 lorsqu’une ordonnance interdit aux étrangers (Chouet, Crespin et Doull) d’enseigner au sein de l’Académie comme dans les autres établissements du royaume. En février 1672 Doull n’a toujours pas pu obtenir une autorisation d’enseigner, et, malgré une baisse du loyer annuel à 180 livres depuis 1663, en mars il semble considérer que le loyer est trop cher et quitter le logement appartenant à l’Académie (AMS, IA1 f°224v, p.438,  f°226v, p.442, f°227-227v, p.443-444). On notera tout de même que sans préciser leur source C. Gascard (« L’enseignement du latin et du grec au collège de l’Oratoire et à l’Académie Protestante », dans Fr. Lebrun (dir), Saumur, capitale européenne du protestantisme au XVIIème siècle, 1991, p.99) comme J.-L. Tulot (op.cit., p. 18) attribuent la chaire de grec à Doull à partir de 1672. Faut-il y voir un aménagement permettant de continuer à occuper le logement de l’Académie en échange d’une chaire officieuse à défaut d’être officielle ?

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