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Être collégien à Saumur au 17ème siècle

PASSEPORT RECHERCHE 2018-2019

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8.  Le Temple, au cœur de l'identité confessionnelle des collégiens
08 - Le Temple - Version audio - L. DAVEAU / P. EFFRAY / L.-A. GASCHET
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A proximité de la tour du Bourg, au carrefour de la bien nommée rue du Prêche et de celle qui rappelle son existence se trouvait le premier temple protestant de Saumur dont la démolition débuta le 20 février 1685 après que, sur ordre du roi, l’exercice public du protestantisme ait été interdit à Saumur[1].

 

Ce temple, construit à leurs frais par Duplessis-Mornay et son épouse à partir de 1591, avait la particularité d’être à l’intérieur de la ville close ce qui légitimait la pratique du prêche et faisait de Saumur un exemple de tolérance où se côtoyaient les deux religions. Ce choix d’implantation, comme celui retenu pour le collège et l’Académie,  relève d’un programme visant à faire de la ville un modèle de coexistence des deux confessions en leur accordant la même importance[2].

 

Même si l’implantation du temple résulte avant tout d’opportunités foncières que Mornay a su saisir en 1590[3], celle-ci lui donnait de fait une autonomie par rapport au pouvoir local tout en le plaçant dans une situation d’allégeance au pouvoir royal ici représenté par le château qui dominait tout autant l’église saint Pierre. Le temple étant adossé à la muraille sud de la ville, donc à l’opposé du collège, il était nécessaire pour aller prier ensemble de sortir de son environnement habituel c’est à dire du quartier dans lequel résidait la plupart des membres de la communauté protestante attachés à l’institution scolaire[4].

 

Les collégiens se rendaient aux temples deux fois par semaine pour aller aux prêches du mercredi et du dimanche, mais aussi pour certaines manifestations  liées à la scolarité comme la rentrée, les promotions ou encore les soutenances et les disputes qui étaient publiques.  Tous les déplacements vers le temple se faisaient collectivement depuis la cour du collège et chacun, professeurs comme élèves, avait une tenue et un rang assignés[5].

 

Ces cortèges qui, selon les années, pouvaient rassembler plusieurs centaines de personnes permettaient d’affirmer son identité confessionnelle en empruntant l’actuelle rue du temple  constituant alors le pendant de « l’artère catholique » qui elle aboutissait à l’église saint Pierre depuis les portes du Bourg et de la Tonnelle.

 

Si le caractère ostentatoire de ces processions était conforme à l’esprit de l’époque, dans une ville qui restait majoritairement catholique de telles processions furent de moins en moins acceptées à partir de 1668[6]

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De plan rectangulaire, avec ses 292 m² le temple avait des dimensions adaptées à la communauté réformée de la ville et pouvait accueillir jusqu’à 600 personnes en raison de ses nombreuses galeries destinées à accueillir les élèves du collège et de l’Académie[7].

 

Les emplacements occupés par les fidèles obéissaient en effet à un ordre social  que certains des élèves les plus âgés n’hésitaient pas à enfreindre en s’asseyant dans la galerie des étudiants en théologie ou aux places dévolues aux nobles étrangers qu’ils estimaient plus conformes à leur rang[8].

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Si l’agencement intérieur de ce premier temple est connu, son aspect extérieur jamais évoqué par les sources suscite davantage d’interrogations[9].

 

Seule certitude le mur sud du temple était adossé au rempart de la ville d’où, par une porte ensuite condamnée, Duplessis-Mornay avait un accès direct à sa propre tribune au dessus de celle des théologiens. Il serait d’ailleurs tentant de rapprocher cet accès du clocheton apparaissant à gauche de la porte du Bourg sur la vue de Saumur dessinée par Lambert Doomer en 1646. Toutefois, si ce clocheton appartenait vraisemblablement au temple, il n’avait pas une fonction sonore puisque Brackenhoffer précise à la même époque que le prêche n’a ni « sonnerie de cloches ni autres moyens de convocation » [10].

 

Pour accéder au temple depuis les Basses-Rues, il fallait passer une première porte surmontée d’une inscription biblique puis emprunter un imposant escalier de 2 mètres de large qui, après un palier intermédiaire, conduisait à un podium. La déclivité du terrain était ainsi compensée offrant au temple un étage de sous-bassement[11].

 

C’est justement au-dessus d’un podium plus modeste, à quelques mètres d’ici, sous le portique à colonnes de l’actuel temple de Saumur construit au XIXème siècle, que vous pouvez voir les seuls vestiges subsistant de l’ancien temple. Il s’agit de deux plaques d’ardoise sur lesquelles  sont gravées les tables de la Loi qui étaient autrefois scellées au mur à côté de la chaire à hauteur du pasteur de façon à ce qu’il puisse s’y référer au moment du prêche conformément aux Ordonnances ecclésiastiques de Genève en 1541[12].

 

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[1] AMS, IA2 f°6. Sur la date précise du début de la démolition Etienne Toisonnier, « Journal de ce qui s’est passé de plus remarquable à Angers depuis 1683 jusqu’en 1714 » publié sous le titre « Une chronique angevine (1683-1714) » dans L’Anjou historique, Octobre 1925, p. 200. Ce début des travaux de démolition est confirmé par une lettre du 21 février sur un litige concernant une rente portant sur le terrain où est « présentement construit le temple, maison et appartenances de ceux de la religion prétendue réformée » (AMS, 2HD36, f°77). La destruction du Temple de Saumur, avant même la révocation de l’Edit de Nantes, s’inscrit dans une campagne de mesures répressives prises à l’encontre de l’Eglise réformée qui, selon A. Spicer [« ‘Qui est de Dieu oit la paroles de Dieu’ : the Huguenots and their temples » dans A. Raymond et A. Spicer (éd), Society and culture in the Huguenot World (1559-1685), 2002, p. 191], aurait conduit à la destruction de 650 à 700 temples protestants en France entre 1661 et la Révocation à l’instar du temple d’Angers construit à Sorges en 1579 et dont la démolition se fit pendant l’été 1685.

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[2] Duplessis-Mornay et son épouse se démarquaient ainsi de l’édit de tolérance de Saint-Germain-en-Laye de 1570 qui n’autorisait le culte réformé que dans les faubourgs de deux villes par gouvernement et allaient au-delà de ce que permit ensuite l’édit de Nantes qui autorisait les temples dans les faubourgs des villes (Cf. Y. Krumenacker, « Les temples protestants français, XVIe-XVIIe siècles », dans Chrétiens et sociétés, I, 2011, p. 131-154).  Notons que, pour Mornay artisan de l’édit de Nantes, Saumur était d’autant plus un bon « laboratoire » pour imaginer cette coexistence que sa population était très majoritairement catholique à la différence de la plupart des autres places protestantes.

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[3] Le courrier relatif au litige de 1685 montre que l’achat par Mornay avec renouvellement de la rente à la date anniversaire a été effectué le 31 décembre 1690 (AMS, 2HD36, f°77). Lorsque Duplessis-Mornay fut nommé gouverneur de Saumur par Henri III en 1589, il obtint de pouvoir célébrer le culte protestant à titre privé au sein de sa demeure ce qu’il fit au cours de la première année dans son logis de l’hôtel de Ville. Parallèlement pour permettre à ses soldats et à leurs proches de pratiquer le culte il utilisa un des bâtiments situés dans l’enceinte de la citadelle : la Fourrière. Les travaux de fortification menés sur la citadelle ayant nécessité sa destruction Duplessis-Mornay loue pour le prêche « le jeu de paume de la ville » (= le grand jeu de Paume) pour 1,5 écu pendant la durée des travaux comme le rapporte Mme Arbaleste (Mémoires de Madame de Mornay,  t1, 1868, p. 248 = édition critique par Nadine Kuperty-Tsur.- Paris, 2010, p. 242). Dans le même passage Mme de Mornay laisse entendre que l’utilisation du temple à partir de 1592 surprit les catholiques qui « s’étaient toujours attendus » à ce que le gouverneur détourne un lieu de culte catholique pour en faire un temple. Cela suppose donc que les travaux de construction menés par Mme de Mornay ne permettaient pas d’identifier un temple de l’extérieur et qu’il pouvait sans doute être considéré comme un logis que se faisait bâtir le gouverneur comparable à celui édifié à côté de l’Hôtel de Ville.

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[4] Outre ce que nous venons de souligner sur la nécessité de sortir du quartier pour prier, sur l’indépendance du temple vis-à-vis des autorités locales et l’allégeance à l’autorité royale, nous observons multiples points communs entre Saumur et le modèle de ville protestante proposé par J. Perret, Des fortifications et artifices. Architecture et perspective, 1601, ce qui nécessiterait une étude plus approfondie même s’il parait évident que Mornay et Perret ont puisé leur inspiration sur le rapport entre l’Eglise et le projet politique dans l’Institution de la religion chrétienne de Calvin. Citons par exemple, le fait d’associer ou de rapprocher certaines institutions (temple/hôpital, maison de ville/collège), ou encore le fait que dans cette ville idéale les institutions se retrouvent deux fois par symétrie ce qui n’est pas sans rappeler qu’à Saumur cette symétrie renvoie au fait que chaque institution d’une confession a son équivalent dans l’autre. Voir à ce propos N. Westphal, « Des fortifications et artifices (1601) » dans Bulletin S.H.P.F, juil.-sept. 2006, p. qui ne fait cependant aucune allusion à Saumur. Il faudrait aussi rapprocher l’urbanisme mis en œuvre par Duplessis à Saumur avec l’expérience menée par Sully à Henrichemont qui va jusqu’à donner les mêmes dimensions et le même aspect à l’église catholique et au temple protestant (A. Spicer, op.cit., p. 187.)

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[5] AMS, IA1, f°10, p.12, f°20, 32, f°219, p. 427. Brackenhoffer, op.cit., p. 212. Précisons que les collégiens passaient chaque semaine beaucoup de temps au temple puisque la durée moyenne d’un sermon au XVIIème est estimée à 1h20 et pouvait atteindre 1h45 lorsque la Cène était célébrée (F. Chevalier, Prêcher sous l’Edit de Nantes. La prédication réformée au XVIIème siècle en France, 1994 confirmée par J.-P. Souriac, « La prédication protestante dans un contexte de révolte contre le roi au temps de Louis XIII », dans B. Béthouart et J.-F. Galinier-Pallerola (dir), La prédication chrétienne dans l’histoire, Les Cahiers du Littoral n°16, 2017, p. 115-132)

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[6] AMS, IA1, f°214v, p. 418, f°219, 427. La lettre d’Elie Bouhéreau du 14 juillet 1684 montre que les protestants ne purent se rendre aux prêches du mercredi et du dimanche lors de la mission catholique du capucin Honoré de Cannes qui débuta le 7 juillet et se poursuivit jusqu’au 8 août.

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[7] L’estimation de la capacité d’accueil du temple est celle de J. Evesque, « Le Temple de Saumur avant la révocation de l’Edit de Nantes », dans BSLSAS, n°142, mars 1993, p. 23. Les deux descriptions intérieures du temple dont nous disposons pour 1679 donnent des dimensions intérieures légèrement différentes : 25,70 m x 10,72 m soient 275 m² (AN TT266, f°598) [source retenue par J. Evesque, p.23] ou 26,10 m x 11,20 m soient 292 m² (AN TT266, f°616) [source retenue par Desmé de Chavigny, « Le Temple de Saumur en 1685 », dans BSLSA, n°, 1905 p. 17, suivi en cela par E. Cron, op.cit., 2010, p.137. C’est précisément à partir de la longueur totale des bancs situés dans les galeries que Desmé de Chavigny (p. 22) estime que la population scolaire maximale était de 350 à 400 élèves et étudiants.

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[8] La fréquence des allusions à ces « débordements » dans registres du conseil académique entre 1613 et 1684 montre que ces comportements ne relèvent pas d’un simple chahut potache mais bien de l’importance du paraître en société (AMS IA1, p. 73 et 203 par exemple). La présence d’un ou deux étages de galeries dans l’aménagement intérieur des temples français permettait d’augmenter leur capacité d’accueil tout en conservant une bonne acoustique et une bonne vue sur la chaire dont seuls les hommes pouvaient bénéficier les galeries leur étant réservées (Y. Krumenacker, op.cit.). A Saumur la géographie des emplacements était la suivante : « le parterre, occupé par de simples bancs pour le peuple, était entouré de galeries hautes à gradins portées par des arcades en bois. Celles situées face de la chaire étaient affectées aux étudiants en théologie, rhétorique (= premières) et philosophie, celles du mur ouest aux élèves des humanités (=jusqu’aux Secondes). Les professeurs, eux, prenaient place dans des bancs à dossier et prie-Dieu aménagés entre ces gradins. D’autres bancs, placés sous la galerie du mur sud, servaient aux officiers de la ville » (E. Cron, op.cit., p. 133). Une fois encore le parallèle est tentant avec la disposition des bancs proposée par J. Perret dans le texte qui accompagne ses propositions architecturales : les hommes à la périphérie dans les galeries, puis les chaires  des seigneurs et au centre les femmes du peuple. N. Westphal (p. 371) fait remarquer que la disposition de l’assemblée constitue l’image de la ville telle qu’elle devrait fonctionner et que l’aménagement des galeries fait que le bâtiment est tourné vers l’espace de la ville ce que l’on retrouve à Saumur.   

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[9] Les descriptions, le plan assorti de quatre dessins, réalisés en 1679 par l’architecte R. Gondouin et le peintre T. Bérard (AN TT266... et ADM 4B874). Sur l’aspect général du temple nous savons qu’Henri IV en 1593 le loua particulièrement » le bâtiment  (Ch. Arbaleste, p. 248-249) tout comme Elie Brackenhoffer (p. 212) en 1644 qui le dit « très beau ». Léon Godefroy qui visita Saumur en 1638  précise que le temple « n’est pas fort grand, ni apparent » (Relation d’un voyage faict depuis la ville de Thoulouze inclusivement jusqu’à Amboise..., BNF, Manuscrits occidentaux ms.fr. 2759, f°371r°-376r° ; cité par E. Cron, 2010, note 40 p. 413). L’emplacement précis de la porte d’entrée, la façon dont la salle était éclairée, ou encore les dimensions extérieures du temple et son emprise exacte le long du rempart entre la Grand-Rue et les Basses-Rues sont des questions non résolues.

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[10] Elie Brackenhoffer, op.cit., p. 212. J.-H. Denécheau et E. Cron identifient ce « clocheton » comme un élément permettant d’identifier et localiser le temple mais il faut alors reconnaître que cela implique que l’arbre au premier plan cache la tour du Bourg ou que J. Evesque (op.cit)  a raison d’accoler le temple à la porte du Bourg sous réserve que le tracé du rempart suivent le plan Tassin  en contradiction avec le tracé visible sur le plan de et l’ouverture de la porte sur la courtine encore visible de nos jours. Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que ce « clocheton » correspond à la toiture de la construction permettant la liaison entre le chemin de ronde du rempart et la galerie sud du temple. Dans ce cas, le plus simple serait d’y voir une tour escalier assez courante dans l’architecture saumuroise d’autant que les époux Mornay en ont fait construire une dans leur logis neuf de l’hôtel de ville contemporain des travaux du temple et que nous avons déjà souligné qu’extérieurement le temple ne devait pas se distinguer du logis d’une personnalité.

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[11] Le temple était surélevé de 4,5 mètres par rapport à la rue du temple (E. Cron, op.cit.,  p. 133). D’après Léon Godefroy le texte de cette inscription était : « Venez et montons en la montagne de l’éternel/ en la maison du Dieu de Jacob affin qu’il nous/enseigne touchant ses voyes et nous chemi/nions par ses entiers » (Isaïe ch. 2 vers 5 [sic : ch.1, vers.3]). Il parait évident que l’inscription évoquait symboliquement la configuration des lieux saumurois. La « porte étroite » illustrant la Bible française imprimée par Portau en 1614 devait être assez proche de l’architecture de cette première porte du temple de Saumur.

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[12] Voir Krumenacker. Evesque et Cron sur conservation des deux plaques. Contra J.-H. Denécheau qui ne localise pas les Tables de la Loi à proximité de la chaire (https://saumur-jadis.pagesperso-orange.fr/recit/ch10/r10d1tem.htm).

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